« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Les Pharisiens posent cette question à Jésus pour le piéger.  Jésus répond en citant deux commandements tous deux inscrits dans la Loi d’Israël et il les place au même niveau : Tu aimeras le Seigneur, tu aimeras ton prochain. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » : c’est dans le Livre du Deutéronome au chapitre 6, cela fait partie de la profession de foi juive, le Shema Israël ; « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est dans le livre du Lévitique (Lv 19,18). Et il dit « ces deux-là donnent sens à tous les autres » : « De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. Comment comprendre l’articulation entre l’amour divin et l’amour humain. Ils sont semblables certes mais l’un est premier et l’autre second car l’amour divin est source de tout amour. Alors comment l’amour humain peut-il lui être semblable ?  L’amour humain ne fait pas l’économie de l’affectif. Nous sommes essentiellement des êtres affectifs. Le nier ou le refouler serait prendre le risque que Blaise pascal décrit dans cette formule choc « qui fait l’ange fait la bête »

Quand nous pensons et vivons l’amour dont la source est en Dieu, nous incluons l’amour affectif. Nous ne sommes pas qu’affectivité et pour que notre pauvre amour devienne effectif, c’est-à-dire semblable à l’amour divin, il doit s’appuyer sur la source de tout amour qu’est Dieu.

L’amour effectif qui prend appui sur Dieu laisse alors une porte ouverte à l’action et à l’imprévu de Dieu.

Passer de l’affectif à l’effectif, c’est un dépassement, celui du mode humain au mode divin sans bien sûr nier notre humanité. Rappelez-vous : « Qui fait l’ange fait la bête »

Le Christ nous invite à ce dépassement. Qu’est-ce que l’Amour divin, cet Amour dont nous sommes aimés. Dieu nous aime inconditionnellement, infiniment et concrètement. C’est concrètement que Christ a donné sa vie par amour : amour pour son Père et par là-même amour pour chacun d’entre nous. Deux mouvements. Jésus nous invite à aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, c’est notre pauvre amour qui tente d’aimer Dieu et que Dieu nous invite à lui donner. L’autre mouvement, c’est l’accueil de l’amour divin dans nos vies. Comment accueillir si nous n’en avons pas fait l’expérience d’un amour humain ? Les enfants mal aimés, maltraités ont un mal fou à croire que Dieu puisse les aimer. Aimer Dieu, c’est prendre appui sur nos expériences d’amour humain pour donner la permission à Dieu de transfigurer notre pauvre amour en véritable amour. Pourquoi l’amour divin est premier ? Pourtant, dans l’histoire de nos vies, c’est d’abord de l’amour de nos parents dont nous dépendons mais d’un point de vue ontologique, c’est-à-dire d’un point de vue du ciel, nous sommes d’abord dans la pensée de Dieu de toute Éternité, de cette Éternité nous en sommes pétris et c’est vers cette Éternité que nous allons. Priorité donc à l’amour de Dieu comme source de tout amour.
Faut-il s’aimer ? Bien sûr ! Ex de l’hôpital psychiatrique de Saint Anne.  Réflexion d’une patiente après la proclamation de ce texte : « Comment voulez-vous que j’aime mon prochain ? Je ne m’aime pas moi-même ! »

S’aimer est parfois difficile, s’aimer sans narcissisme peut être aussi très difficile. Se connaître dans la plongée en nous-même mais pas dans une sorte de repli narcissique sur soi que suggère le mouvement d’intériorisation ; mais une « plongée » en soi qui rejoint l’amour de Dieu répandu en nos cœurs et qui s’ouvre dans un mouvement à l’extérieur de soi, à l’amour universel. Que s’est-il passé dans cette plongée en soi et dans l’ouverture aux autres : un autre passage !  Premier passage de l’amour affectif à l’amour effectif, deuxième passage de l’amour effectif à l’amour universel. L’amour dont nous sommes capables dans l’ouverture qui suit la plongée en soi a été visité par la tendresse de Dieu, ombre compris. Quel ombre ? Tout ce qui n’a pas encore été mis à la lumière. Saint Paul l’exprime ainsi dans l’épitre aux Éphésiens : « tout ce qui a été nommé et mis à la lumière devient lumière »

Nous voilà reliés à l’extériorité et c’est alors le passage de l’amour effectif à l’amour universel, affectif compris. C’est la compassion.

Que devons-nous faire ? Prier et agir. Adage jésuite :

« Confie-toi à Dieu comme si tout dépendait de … toi et rien de Dieu

Agis comme si tout dépendait de …Dieu et rien de toi. »

Avec Dieu, l’impossible devient le chemin car Christ annonce qu’un don de Dieu est maintenant disponible pour les disciples, qu’une intervention divine en eux les rend capables de devenir infiniment plus que ce que peut réaliser la nature humaine, et c’est là l’œuvre de Dieu. Nous entrons dans la théologie de la Nouvelle Alliance, celle qui annonce la transformation de l’être humain par une intervention divine dans le cœur de l’homme par la parole et par l’Esprit. Cette puissance divine agissant dans l’homme doit l’élever au-dessus de sa condition humaine pour le faire entrer pleinement en communion avec Dieu.

Pour cela, il nous faut comprendre que Dieu n’est pas seulement une option parmi tant d’autres ; il est le fondement même de notre vie. Cheminer dans cette exigence, c’est consentir à l’amour qui transforme notre cœur.  Un autre adage jésuite pour terminer.

« Pas sans Dieu, pas sans toi, pas sans les autres » Dieu est bien mis à la première place. Dans un deuxième temps je ne peux faire l’économie d’une vraie décision, et c’est de ma responsabilité, l’expression de ma liberté et bien sûr les autres, véritable petit laboratoire de l’amour.

Transformer notre cœur pour qu’il aime mieux, plus largement, c’est le désir de Dieu. Son Amour est consolant, Lui qui met du baume sur nos blessures, Lui qui nous qui relève et qui nous donne force et cohérence.

Oui mais que devons-nous faire ?

Libérer la parole, ne pas avoir peur de nos émotions, celle qui remonte à la conscience, parfois colère, détresse, tristesse. Qu’en faire ?

Nommer, prier et célébrer. Nommer, c’est mettre à distance, une juste distance, prier, c’est ouvrir à Dieu ce qui a été nommé. Célébrer les sacrements, c’est laisser Dieu opérer à la racine du mal. C’est le lieu de la Compassion de Dieu qui vient dans notre chair blessée. Il est venu pour les malades et les pêcheurs. Alors oui nous sommes blessés mais nous savons que le Christ a vaincu la mort. Dans l’Eucharistie, il nous fait passer de la mort à la vie.

bmg