« Un homme avait deux fils ». Ainsi commence la parabole adressée aux scribes et aux pharisiens qui ne l’accueillent pas. Jésus les compare au deuxième fils qui dit oui mais ne tient pas sa promesse. Avant ceux qui pensaient être déjà dans le Royaume en raison de leur position dans la société, les collecteurs d’impôts et les prostituées, les personnes les plus rejetées par la société de l’époque, étaient en fait plus proches qu’eux du royaume de Dieu. Les autorités religieuses souffrent d’une espèce de suffisance qui a pour conséquence qu’ils ne peuvent se remettre en question.

Par contre, les publicains et les prostituées, parce qu’ils se savent pécheurs et qu’ils ont le sentiment très vif de leur indignité, de leur pauvreté, ont les oreilles et le cœur plus prêts à s’ouvrir. Dans l’évangile de Mathieu, Jésus s’adresse à des gens qui ont décidé de le tuer. Jésus veut percer la gangue autour du cœur des scribes et pharisiens, la gangue de l’autosuffisance et du mépris de l’autre. « Comprenez que votre cœur s’est endurci. Voulez-vous rester dans votre cœur de pierre ? Acceptez d’entrer dans le dynamisme vivifiant du repentir ».

Le combat entre le Christ et les pharisiens est grave parce que ce sont deux religions qui s’affrontent. Les pharisiens ont déjà condamné le Christ. Ils ont reconnu que c’était un grand homme, peut-être même un prophète mais dans les actes du Christ, dans son enseignement plane un secret, quelque chose que les hommes ne connaissent pas et que le Christ essaie de faire percevoir par exemples par le discours des béatitudes, l’expression « Royaume des Cieux », l’idée de la porte étroite. En fait, la porte étroite de la remise en question, la porte étroite du repentir. Se repentir, ce n’est pas d’abord par rapport à une loi même si la loi permet d’éclairer la conscience, c’est devant un être bienveillant et vivant, Dieu lui-même. Mathieu montre un Jésus démontant les stratégies mortifères de ses adversaires : « repentez-vous devant un Dieu vivant, un Dieu source de vie et non devant Celui que vous vous êtes construit ».

Le cœur de ses interlocuteurs a fait alliance avec la mort. Ils veulent tuer Jésus. Vont-ils se repentir. Se repentir, c’est prendre le parti de Dieu contre soi-même, de ne pas soutenir sa propre justice mais se résigner à être coupable se plaçant devant Dieu et avec Lui. C’est là qu’est le processus vivant, en ce “devant Dieu et avec Lui” s’éveille quelque chose de nouveau, une naissance, un devenir. Agissez en conséquence c’est à dire soyez miséricordieux et choisissez la vie. « C’est l’ouverture que je veux et non la fermeture ».  Soyons vigilant. Repentons-nous. Ça fait tellement de bien.

Le repentir c’est l’ouverture et c’est un passage obligé pour sortir de l’autosuffisance, pour recontacter en nous la capacité à dire oui à la vie de la grâce. En nous existe depuis toujours une générosité. Mais cette générosité peut être empêchée quand elle est trop consciente d’elle-même. Elle se suffit à elle-même, elle s’appuie sur elle-même, mais se referme aussi sur elle-même. Elle ne s’est pas encore heurtée à ses propres limites. Elle n’a pas encore fait le tour de ses impossibilités. Elle ne s’est peut-être pas encore brisée sur un échec.

C’est pourquoi Jésus préfère le premier des deux fils : celui qui a commencé par faillir et dont la vie restera à jamais marquée par cet échec initial. Ceux qui ont trouvé la porte du repentir ne sont plus propriétaire de leur générosité. Toute leur générosité vient désormais du regard de pardon que le Seigneur, un jour, a posé sur eux. Jésus désire poser sur chacun de nous un regard de miséricorde et c’est dans notre intériorité profonde qu’il veut le faire. Il y a dans ce texte une belle leçon de sagesse. Le premier fils, qui dit « je ne veux pas » met une respiration, comme une attente, entre une décision qui ne serait pas sienne et qui viendrait de l’extérieur et non de son libre arbitre. Ce temps de suspension est comme un temps d’intériorisation pour accéder à son propre et vrai désir.

Et, ce faisant, il accède à la première personne du singulier : « je » en face d’un « tu ». Il sort ainsi de la soumission servile et impersonnelle. Il peut alors choisir librement de faire sien le désir de l’autre, comme Jésus le fit lui-même à Gethsémani : « Mon Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26, 39). Dans notre profonde liberté intérieure, dès lors que nous faisons nôtre le désir de Dieu, nous ne pouvons plus ne pas œuvrer à la vigne qu’est l’humanité créée par lui. Son dessein de salut pour tout homme est devenu le nôtre, nous ne pouvons plus nous taire, nous ne pouvons plus cesser d’agir … sans risquer de Le faire taire, Lui le Seigneur. Alors, comme Saint Paul, nous pourrons dire, « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Telle est la porte du Royaume de Dieu qui nous est proposée.

Librement choisir d’aller à la vigne du Seigneur, c’est plonger dans la Source et c’est ce qui nous rend à nous-même, aux autres, à Dieu. Le cœur contrit s’échappe alors de la citadelle de l’orgueil, du mépris et de la suffisance. Se déplacer vers l’autre, s’oublier pour l’autre, sortir de soi pour vivre de la miséricorde et faire miséricorde, sont des signes d’une spiritualité authentique.