« A travail égal, salaire égal ». Cet adage ne convient pas pour le récit raconté dans le texte de l’évangile de ce dimanche. Les ouvriers de la 11ème heure n’ont pas travaillé autant que les ouvriers de la 1ère heure. Cependant, ils reçoivent autant que ceux qui se sont fatigués dans la vigne, sous le soleil. « A travail inégal, salaire égal ». Quoi de plus injuste ? On comprend bien que Jésus parle dans cette parabole d’autre chose que de justice sociale. Mais de quoi parle-t-il ? Du Royaume ! Jésus prête au Royaume une autre logique que celle du monde. Cette clef nous est donnée à la conclusion de la parabole : « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ». Il ne dit pas que tous les premiers seront derniers, ni que tous les derniers seront premiers ; Jésus donne un principe de discernement important : certaines grandeurs de l’homme en lesquelles on risque de se fier, ne sont qu’illusions. Jésus nous demande : “ En qui je me fie ? En l’homme ou en Dieu qui me sauve ?” Ces allusions au plan de salut de Dieu sont en partie dévoilées dans le récit. Le maître va chercher des ouvriers au marché du travail de la bourgade, il fait d’abord un contrat avec ceux qu’il a choisis à la 1ère heure. « Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,
et il les envoya à sa vigne. »
C’est bien un contrat qui est ici passé. Bien sûr, cela évoque ce qu’a été l’Ancienne Alliance, un engagement pour Israël à suivre la loi et l’engagement de Dieu de libérer, protéger et conduire son peuple : engagement bilatéral entre Dieu et l’homme. Israël est appelé à un travail, une tâche difficile dans ce monde, qui est de préparer la venue du Sauveur. C’est normal qu’il y ait un salaire, tout va tourner autour de cette notion de salaire. Il faut ensuite regarder les étapes suivantes : “Il sort vers la 3ème heure, c’est à dire vers 9h du matin. Il en voit d’autres qui se tenaient là, désœuvrés, sur le marché, et il leur dit : « Allez vous aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste pour votre travail”. Il y a bien un engagement, mais ce n’est plus un contrat où on se met d’accord. Les ouvriers doivent se fier au maître et à sa parole : “Ne craignez rien, je vous donnerai ce qui sera juste “. Ils ont fait confiance.
Les derniers à qui le maître reproche leur inactivité, comme s’ils étaient des paresseux, se justifient : “Ce n’est pas qu’on ne voulait pas, mais on ne pouvait pas, parce que personne ne nous a embauchés ». Donc, ce sont vraiment des chômeurs. “ Eh bien, allez, vous aussi, travailler à ma vigne”. Il ne leur promet rien. Il y a une évolution subtile de la situation ; ils ont à faire encore plus confiance au maître, peut-être auront-ils quand même quelque chose de plus. Ils ont déjà du travail, ils ne sont pas désœuvrés. Peut-être y aura-t-il autre chose ; ils doivent aveuglement faire confiance et c’est la foi obscure. La justice du Royaume n’a rien à voir avec nos justices sociales, ni avec nos conceptions du mérite. Elle est celle de l’amour, de la pratique d’un amour qui va jusqu’à être injuste à vue humaine, d’un amour qui se donne jusqu’aux limites tolérables de l’injustice ! C’est ce que fait le Maître de la vigne : il est bon, il donne à chacun, non pas selon ses mérites, mais selon ses besoins. Il donne selon sa prodigalité infinie. Il prend en compte non pas la production, mais la peine de chacun. Et qui peut juger de la peine sinon ce Maître bon, doux et humble de cœur ? Pour lui, chacun de ceux qui œuvrent dans son Royaume est digne de recevoir son salaire d’Amour.
Si telle est la justice de Dieu, alors son Royaume est un pays où il n’y a plus d’humains jaloux et plus de laissés pour compte… Qu’advienne entre nous ce Royaume ! Dans la transposition théologique, c’est très clair : tous ceux qui seront sauvés n’auront qu’un seul et unique salaire : Dieu en personne. Les premiers, comme les derniers, recevront, dans le salut, l’amour de Dieu tout entier. La logique de Dieu, c’est la logique de l’amour, la logique de la grâce. Le contrat d’un denier, supérieur à un salaire normal, était déjà une grâce. Combien plus pour les ouvriers de la 3ème heure et de la 11ème heure ! Le Royaume est déjà parmi nous. Accueillir l’amour de Dieu, c’est déjà recevoir une grâce, la grâce d’un amour gratuit, infini, immérité.
Travailler à la vigne du Seigneur, c’est apprendre de Dieu lui-même à aimer comme Il aime. Le salaire du disciple du Christ est précisément une « capacité » et non une récompense, une intimité avec Dieu Lui-même et non un dû. L’injustice par amour, celle du Christ livré sur la croix, est signe de l’amour vainqueur de la haine, de la Vie vainqueur de la mort qui se livre à nous dans un cœur à cœur. Le Christ à Gethsémani et à la Croix, c’est Dieu livré au creux de l’angoisse et de la souffrance. Le Christ accepte pleinement par amour de vivre l’absurdité de la souffrance pour lui donner un sens. Comment peut-on donner un sens à la souffrance? Seul Le divin peut le faire. Quand le divin touche la blessure humaine, se résout alors dans le feu de l’amour divin, le paradoxe du scandale du mal et de l’éternel Innocence de Dieu. Dieu, sans complicité avec le mal, assume l’absurdité de la souffrance au cœur même de la pâte humaine et lui donne son sens, l’Amour. Le fruit de ce don de soi jusqu’au paroxysme de l’Amour, c’est la résurrection. La source de l’espérance chrétienne tient en un mot, Résurrection. Depuis le Christ, le mot résurrection résonne dans notre monde comme la source de l’espérance.
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