Ce texte est à décrypter. Il est un récit d’un événement qui a profondément marqué les disciples et qui s’est réellement passé. Tous les synoptiques racontent cette histoire. La manière de raconter de Mathieu est particulière puisqu’il y mêle un langage apocalyptique dans une interprétation hautement symbolique. Mathieu suggère trois apocalypses : apocalypse du Christ, apocalypse de l’Église et apocalypse de Pierre.
Tout d’abord l’apocalypse du Christ. « Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. » Il est Dieu lui-même foulant les grandes eaux de la mort ; c’est donc une théophanie au sens où Jésus nous est montré ici, exerçant ce que fait Dieu. C’est une révélation de la divinité du Christ. Pierre et ses disciples avaient été impressionnés par cet événement, même s’ils n’ont pas compris totalement le sens de ce miracle. Dans ce récit est prophétisée la victoire du Christ sur la mort, la mort qu’il aura à traverser !
Maintenant l’apocalypse de l’Église. Ce texte présente une vision apocalyptique de l’Église. C’est elle qui continuera la Présence du Christ. Un exemple d’élément apocalyptique. Nous trouvons dans ce récit une personnification de la barque. “Le soir venu, Il était là-bas, seul, et la barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car les vents étaient contraires.” S’il on veut traduire littéralement, il faudrait dire la barque était “torturée”. Ce n’est pas normal, pour un objet matériel comme une barque, d’utiliser le mot “torturée” qui suppose une souffrance, une douleur physique, et qui ne peut s’appliquer qu’à des êtres vivants. Pourtant, en texte grec, c’est le mot “torturée” qui est utilisé.
C’est donc une vision apocalyptique de la barque de l’Église qui navigue à travers les eaux de l’océan qu’est le monde. Les vagues qui se soulèvent contre cette barque sont les persécutions que subit l’Église, et ces vagues sont provoquées par un vent qui leur est hostile, qui leur est contraire. La barque de Pierre, l’Église, subit de tous temps des vents contraires. Faisons mémoire de son histoire : c’est vrai, dès les temps des persécutions romaines. Et puis l’empire à peine converti, voici les invasions barbares ! Puis le Grand Schisme, la Réforme, la Révolution française, la Révolution bolchévique, les guerres mondiales, l’indifférence et le déni de Dieu dans notre monde occidental… Les apôtres crient, tellement ils sont paniqués.
Quand Jésus et Pierre remontent tous les deux dans la barque, nous avons la conclusion qui est très importante et particulière à Mathieu ; quand ils furent remontés dans la barque, tous ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant Jésus en disant : “Véritablement, Tu es Fils de Dieu !”. Nous avons la première formulation par des hommes sains de corps et d’esprit, du mystère de la filiation divine. Mais c’est aussi apocalyptique, parce que dans une barque qui était relativement exiguë, je ne sais pas comment vous imaginez la procession de prosternement. Traduisons le message apocalyptique : “ tous ceux qui seront dans l’Église se prosterneront devant Lui en disant “Tu es véritablement Fils de Dieu”.
Apocalypse veut dire « lever le voile ». C’est Pierre qui suscite cette révélation le concernant quand il demande à Jésus quelque chose d’impossible, à savoir marcher sur les eaux ? Il veut s’assurer que la silhouette qui s’avance n’est pas un fantôme. Alors Jésus lui dit “Viens”. Et il se met à marcher sur les eaux vers Jésus. Donc tout marche bien, sauf chose curieuse, il voit le vent et il prend peur : c’est la lutte entre la foi et la peur, et ici la peur a été plus forte que la foi et immédiatement la peur provoque son effet de mort. Pierre est sauvé de son manque de foi par Jésus qui le saisit par la main avant qu’il ne disparaisse dans les eaux.
Il reste quelque chose d’étonnant dans le texte de Mathieu. Imaginons la scène, nous pourrions dire : “Mais voyons les grandes vagues qui sont en train de se précipiter sur lui, il a eu peur des vagues ; mais non, il a vu le vent ; comment faites-vous pour voir le vent ? vous ne pouvez pas voir le vent. Ça veut dire que le vent dont il est question ici, ce n’est pas simplement du vent, nous sommes de nouveau dans l’apocalypse. On a déjà eu au début un vent hostile à l’Église, et c’est ce vent qui a fait peur à Pierre. Le terme de vent se dit en hébreu comme en araméen, par le même mot qui est utilisé pour dire “esprit”, « souffle ». Voyez l’image apocalyptique, c’est comme s’il avait vu l’esprit du mal hostile à l’Église qui soulève les vagues du monde contre l’Église, et qui est donc Satan.
Ce que Mathieu veut nous montrer, c’est qu’il n’y a pas seulement une manifestation divine, une épiphanie divine du Christ Sauveur, mais il y a aussi une manifestation de Satan, une apocalypse de Satan ; Satan qui, apocalyptiquement, en soulevant les forces humaines contre l’Église, veut se révéler lui aussi, et veut, en faisant peur de cette manière-là, détourner de la foi. Et bien Pierre y a cédé. Il n’a pas eu peur des vagues, donc peur de la mort comme telle, il a eu peur de Satan. Ce n’est donc pas étonnant qu’il sombre immédiatement. Il n’avait pas perdu la foi, et il va crier “Seigneur, sauve !” Voilà la grande expression du salut, avec la foi en Jésus qui s’exprime par le terme de “Seigneur”, avec tout ce que Mathieu mettait déjà comme signification surnaturelle dans le mot “Seigneur”, et Jésus répond à cela en le saisissant par la main. Il le sauve ainsi de la mort et lui révèle ce qui s’est passé en lui : “Homme de peu de foi”.
Que nous dit l’Écriture de la rencontre entre Dieu et l’homme ? Rencontrer Dieu sur sa route, c’est faire l’expérience d‘un bouleversement. Bien sûr le cœur profond est concerné. Aussi est-ce la condition de ce bouleversement, un cœur accueillant, un cœur disponible à l’événement de cette rencontre. Nous qui venons à la messe, nous venons vivre cet événement de la rencontre avec le Seigneur. Dans le fond de notre être, le Seigneur nous appelle pour la rencontre. Un des fruits de cette rencontre, c’est la protection du Seigneur des forces de mort qui assaillent notre monde. Seigneur apprend nous à ne plus en avoir peur des forces de mort. Venir à la messe, c’est donc venir à la rencontre de Celui qui nous aime, nous conduit, nous protège et nous purifie sans cesse. Jésus marche sur les eaux, il est le maître de la vie, il connaît la puissance de vie qui l’habite, mais il laisse la mer et le vent se déchaîner, car ils ne peuvent rien contre lui.
Le disciple pour marcher sur les eaux ne doit pas attendre la fin de la tempête qui d’ailleurs durera jusqu’à la fin des temps. Il ne doit pas non plus se laisser envahir par la peur, ni douter de la capacité de Jésus à nous faire tenir debout. En faisant confiance à Jésus, en s’appuyant sur lui, nous pouvons dès à présent participer à sa victoire sur le mal et la mort. Mais il ne nous sera pas épargné d’affronter les éléments hostiles, ce qui nous est promis, c’est que nous en sortirons vainqueur. Jésus ressuscité est le signe de notre victoire, signe posé dans l’histoire des hommes. C’est un signe apparemment faible face à tous les vents contraires, aux mers agitées, mais depuis deux mille ans, il est puissance de Dieu pour tous ceux qui mettent en lui leur confiance. Les épreuves, les tempêtes, et finalement la mort physique ne sont pas épargnées aux croyants, ni à l’Église. Mais par la grâce de Dieu, son Église perdure à travers les siècles, elle est signe de la puissance de Dieu qui se déploie dans la faiblesse humaine.
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