Tous ces temps, nous avons eu toute une série de paraboles sur le Royaume. Tout d’abord, les paraboles de la semence jetée en terre, ensuite sur le levain enfoui dans la pâte. Faut-il comprendre que le Royaume est souterrain ? La première image du texte d’aujourd’hui qui décrit le royaume comme un trésor enfoui va dans le même sens.  La deuxième image celle de la perle précieuse semble différente. « Le royaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle. » Jusqu’à présent, le Royaume était décrit comme caché, discret, souvent ignoré. La deuxième parabole met en scène un négociant capable de saisir la beauté particulière d’une perle précieuse. Cette découverte de la perle précieuse est le fruit d’un travail intérieur. Elle suggère un passage, celui de l’enfouissement intérieur vers l’extérieur, vers la beauté d’une perle précieuse.

Le Royaume n’est en aucune manière statique. Bien au contraire, il est principe de vie, il est mouvement vers la lumière. Il est fait pour la lumière. Il est lui-même semence de lumière, enfouie dans la terre, en notre terre, capable d’ensemencer notre terre intérieure et de nous emmener au -delà de nous-même.  Le Royaume est donc un mouvement de lumière et qui cherche la lumière . Dans toutes ces paraboles, Jésus parle du Royaume comme enfoui en nous mais aussi comme quelque chose que l’on acquiert, quelque chose d’extérieur à nous, qui n’a pas besoin de nous pour exister, mais qui peut devenir nôtre.

Le Royaume nous dépasse largement mais il nous est accessible si nous voulons le chercher à l’intérieur de nous. Il est à la fois à l’intérieur : le trésor caché mais aussi à l’extérieur : la perle précieuse. Si le négociant demeure en sidération devant la perle précieuse, c’est qu’il est capable de saisir dans un mouvement presque d’adoration la valeur de la perle précieuse. Il est capable de discerner à partir de son fond propre à partir de sa vie intérieure. Ce dynamisme du Royaume qui grandit en nous transforme notre cœur et il est à accompagner.

Il est en attente de notre consentement et de notre collaboration. Il nous espère au dedans de nous pour nous emmener au-delà de nous-même. Double mouvement donc: mouvement de plongée en soi mais aussi dynamisme de l’ouverture, de la sortie de soi. En fait un exode permanent allant du “je” enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu. Les images du trésor enfoui dans un champ, et de la perle précieuse découverte presque par hasard par un négociant qui connaît la valeur des pierres nous parle de nous dans notre relation à nous-même, aux autres, à Dieu. De l’enfouissement du trésor à l’éblouissement dans la contemplation de la perle précieuse, un passage : celui de l’ombre à la lumière. Notre ombre, c’est ce qui en nous n’a pas pu advenir en pleine lumière, ce qui en nous stagne dans les grisés de l’attente d’un regard de bienveillance.

Notre propre regard sur nous-mêmes est parfois si dur, pourquoi ne pas décider de nous laisser aimer totalement, intégralement par Dieu ? Nous sommes souvent tellement dépendants du regard des autres. Il est long le chemin pour accepter que Dieu nous aime infiniment mieux que l’ont fait nos parents, pourquoi ne pas, dès maintenant, accueillir dans la foi Celui qui jamais ne désespère de nous mais qui, bien au contraire, nous révèle la merveille que nous sommes à ses yeux, la perle précieuse que nous sommes ! Reconnaitre nos ténèbres et accueillir notre ombre est un travail de lucidité et d’humilité, c’est un vrai travail, un travail coûteux car un travail sur soi. Exposer notre ombre à la lumière est un acte de confiance.

C’est alors que, sous le regard illuminateur du Christ, l’ombre se met à resplendir des couleurs de l’arc-en-ciel, signe de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Nommer, ouvrir à la lumière de Dieu, c’est passer de l’ombre à la lumière.  Dieu transfigure tout ce que j’ai reconnu, nommé et offert au Seigneur. C’est une véritable alchimie divine qui transforme le plomb de nos lourdeurs en or, cet or qui est le bonheur que Dieu veut pour chacun d’entre nous. Dans sa 3ème parabole, Jésus prend l’image du filet. « Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. »

Cette parabole nous replace dans la complexité de ce monde, le monde est un lieu de ressources et de passage, elle est aussi un monde dangereux, marqué par le chaos de tempêtes et vagues menaçant de nous engloutir. Par cette 3ème parabole, Jésus nous invite au discernement. Il nous donne la capacité de garder ce qui est bon et éliminer ce qui ne vaut rien. C’est le don d’une conscience éclairée. Jésus termine par ces paroles : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »Jésus conclut par une exhortation au discernement et en particulier en sa dimension réflexive. D’où la mention du scribe, allusion à l’étude, lieu essentiel d’exercice de notre liberté. Jésus nous conseille ainsi de connaître et de puiser dans notre bon trésor, par la réflexion, en commençant par ce qui est nouveau, sans pour autant négliger ce qui est ancien.

Ce qui est ancien dans notre trésor c’est de savoir que ce monde et nous-même recèlent bien des trésors, des perles et des bons poissons. C’est précieux comme trésor ancien. Le trésor nouveau c’est la perle que nous découvrons aujourd’hui dans les circonstances particulières : c’est l’éclair de génie, l’intuition, l’idée du geste utile, la découverte d’une nouvelle pertinence, tout souffle de l’Esprit. Il reste à parler des anges. Le mot « évangile » veut dire Bonne Nouvelle? Lisons là non comme une menace mais dans la confiance. Quand Jésus nous dit quelque chose, c’est toujours pour nous révéler le dessein bienveillant de Dieu, ce ne peut pas être pour nous effrayer. N’ayez pas peur certes mais veillez, c’est-à-dire soyez prêts quand le grand filet sera à l’œuvre lors du jugement.

C’est une autre lecture de la parabole du grand filet qui ramasse des bons poissons et des mauvais poissons. Un jour viendra où le maître de la moisson dira que l’heure a sonné de faire le tri. Jésus reprend là, dans l’explication qu’il donne à ses disciples, le style et l’imagerie traditionnelle du thème du jugement dans toute la Bible : il est toujours présenté comme une division en deux camps, les bons d’un côté, les mauvais de l’autre, mais personne ne s’y trompe : personne n’oserait se vanter d’être entièrement bon, personne non plus ne peut être accusé d’être entièrement mauvais !

La frontière qui sépare les bons des méchants passe en réalité en chacun de nous ! Nous sommes tous des êtres partagés. Mais alors comment comprendre concrètement, et comment concilier l’exclusion des méchants et la récompense promise aux bons, si nous sommes chacun les deux à la fois ? Au jugement tout ce que nous avons fait de bien ne sera pas détruit. Chaque frémissement de libération en nous et autour de nous est en sécurité dans le cœur de Dieu. Le bien que nous faisons a valeur d’éternité. La première lecture, nous invite au discernement ici-bas. Ce qui est mauvais, ce sont les injustices, les péchés et les scandales tout au long de l’histoire. Mais le filet va être tiré sur le rivage, et on va faire le tri. C’est la deuxième lecture de la même parabole qui nous donne la visée. Comme pour le moissonneur, ceux qui feront le tri, ce seront les anges. C’est dans cette vision eschatologique, que nous installons nos vies dans une tension vertueuse qui nous donne sens et finalité.