La parabole de l’ivraie fait intervenir un ennemi qui sème nuitamment au milieu du blé une mauvaise herbe qui risque de l’étouffer. Quel est cet ennemi qui sème de l’ivraie dans le champ du Seigneur ? Dans l’explication de la parabole Jésus explique que c’est le diable. Ce qui est choquant dans cette interprétation, c’est que l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. De l’ivraie ne peut devenir du blé et du blé ne peut devenir de l’ivraie. Comme nous ne croyons pas à la prédestination parce que Dieu veut que tout homme soit sauvé et qu’il est toujours possible de se convertir, c’est-à-dire tourner son cœur vers le bien, les fils du mauvais ne peuvent pas être des hommes mais des entités spirituelles non ordonnés à Dieu, œuvrant pour le Mauvais. Ivraie en grec c’est « zizanion » ;
c’est de là qu’est venue l’expression « semer la zizanie, la discorde ». Il est le mauvais mais il est également le diviseur, celui qui cherche les failles, en nous, entre nous : esprit du mal, esprit du mensonge, esprit de discorde viennent troubler le projet de Dieu. Le maître ne veut pas que l’on supprime le parasite. Pourquoi ? Arracher les mauvaises herbes déracinerait également le blé́, causant plus de dégâts à la culture que de laisser les mauvaises herbes pousser. D’autre part, il n’est pas si facile de distinguer les mauvaises herbes du blé́. Au tout début, impossible de distinguer jeunes pousses de blé et l’ivraie. De plus leurs racines sont entrelacées sous le sol. Dieu laisse le mal grandir, envahir le monde, Dieu patiente, nous laisse combattre le mal et Il nous en donne les moyens. Nous grandissons humainement et spirituellement dans la confrontation au mal. Jésus dit que les moissonneurs, pas les serviteurs, s’en occuperont au moment de la moisson.
Dans l’interprétation de Jésus, les moissonneurs sont les anges. Les fils du mauvais d’un côté, les anges de l’autre. C’est au maître de la moisson, au Ciel donc que revient de faire le tri quand Dieu le jugera bon. Cela veut dire que Jésus nous invite à accepter comme notre condition de créatures ce mélange permanent de bien et de mal. Un jour viendra pourtant où le maître de la moisson dira que l’heure a sonné de faire le tri. Jésus reprend là, dans l’explication qu’il donne à ses disciples, le style et l’imagerie traditionnelle du thème du jugement dans toute la Bible : il est toujours présenté comme une division en deux camps, les bons d’un côté, les mauvais de l’autre, mais personne ne s’y trompe : personne n’oserait se vanter d’être entièrement bon, personne non plus ne peut être accusé d’être entièrement mauvais ! La frontière qui sépare les bons des méchants passe en réalité en chacun de nous ! Nous sommes tous des êtres partagés. Mais alors comment comprendre concrètement, et comment concilier la brutalité promise aux méchants et la récompense promise aux bons, si nous sommes chacun les deux à la fois ? Au jugement tout ce que nous avons fait de bien ne sera pas détruit. Chaque frémissement de libération en nous et autour de nous est en sécurité dans le cœur de Dieu. Le bien que nous faisons a valeur d’éternité. Quant à la brutalité des expressions concernant le mal, ce ne sont pas d’abord les personnes même si certains peuvent s’endurcir dans le mal, c’est une percutante invitation à lutter contre le mal. C’est donc une réelle assurance.
Toutes les paraboles de Jésus centrées sur les semences disent cela : semence jetée en terre, graine de moutarde semée en terre, voilà des images bien terrestres pour parler du Royaume de Dieu. Faut-il comprendre que le Royaume est souterrain? Jésus nous avertit: il est caché certes mais pas statique. Bien au contraire, il est mouvement vers la lumière. Il est fait pour la lumière. Il est lui-même semence de lumière, lumière dans la terre! Mais quelle est cette terre?
Sainte Thérèse de Lisieux nous le révèle.
“…je comprends et je sais par expérience que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous.” Le dedans de nous, c’est notre terre intérieure visitée par la vitalité du Royaume.
L’évangéliste précise:
“La semence germe et grandit, l’on ne sait comment.” Nous savons que le Royaume est au dedans de nous mais nous ne savons pas comment il germe et grandit pour donner tout son fruit. Cependant nous pouvons en constater les effets.
C’est expliqué par Jésus lui-même à travers la parabole de la graine de moutarde. Elle est la plus petite des semences mais devient la plus grande plante potagère. Cette analogie est invitation à prendre conscience des effets de la croissance du Royaume en nous. Sainte Thérèse y voit reconnaissance, élan du cœur, union à Dieu et dilatation de l’âme. ” Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » (Ms C, 25rv)
Le Royaume est donc un mouvement en nous qui est lumière et qui cherche la lumière. Ce dynamisme du Royaume qui grandit en nous est à accompagner. Il est en attente de notre consentement et de notre collaboration. Il nous espère au dedans de nous pour nous emmener au-delà de nous-même. Double mouvement: mouvement de plongée en soi mais aussi dynamisme de l’ouverture, de la sortie de soi. En fait un exode permanent allant du “je” enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu. Pour avoir accès à cette intériorité authentique, il faut plonger en soi; non pas seulement par un repli introspectif sur soi mais dans un mouvement de l’esprit, infiniment plus proche de la compassion que de l’introversion. Loin d’être un repli sur soi, l’intériorité est une attitude de non distance vis-à-vis des êtres et de soi-même, par la vertu d’une ouverture totale du cœur, comme les branches du moutardier qui accueille les oiseaux du ciel.
“La graine de moutarde grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre.” Christ est lui-même ce Royaume jeté au creux de notre humanité blessée. Il est allé tout sauver en dedans de nous, jusque dans ce qui reste souffrant, douloureux en nous. Christ a été jeté en terre à Gethsémani et sur la croix. Au cœur de la souffrance, Il ouvrira les bras et réconciliera définitivement la terre et le ciel, notre terre faite pour le Ciel.
Il nous faut comprendre que le mal est vaincu en Christ. Il nous faut nous plonger dans la victoire du Christ.
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