Dans les petites ou grandes épreuves de la vie, les fausses croyances qui datent de notre enfance, nous protègent mais peuvent nous enfermer aussi. Dans des cas de névroses, la fausse croyance peut aider à refouler. Ainsi nous connaissons tous le cas de l’enfant battu injustement par ses parents et qui ne peut pas renoncer à croire en l’amour de ses parents. Il va entrer dans une fausse croyance. « C’est moi qui ne suis pas à la hauteur… » pour justifier l’attitude de ses parents. Perdre sa vie, c’est d’abord perdre ses fausses croyances. Dans l’invitation à l’aimer «plus que père et mère», «plus que fils ou fille», le Christ ne fait pas outrage à nos liens les plus vitaux. C’est au contraire les ancrer dans le Dieu-Amour qui fonde notre propre capacité d’aimer et qui nous délivre de nos fausses croyances. Alors, «se saisir de notre croix» devient salutaire. C’est le chemin de toute vie engagée, responsable, parsemée de douleurs, de deuils, de trahisons, de déconvenues et d’obstacles en tous genres.
Ce n’est surtout rajouter des croix à nos propres croix qui sont assez lourdes comme cela. « Qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera. » “ Celui qui veut être mon disciple, qu’il me suive sur ce chemin qui va jusqu’à perdre sa vie “. Il ne s’agit pas de mourir. Ça fait allusion au fait que toute sa vie l’homme, légitimement, se recherche lui-même, il recherche son bonheur et son épanouissement. La recherche immodérée de soi, de sa propre gloire c’est de cela que Christ veut nous libérer. Donc, perdre sa vie, c’est mourir à une recherche narcissique de soi-même. Prendre sa croix, ce n’est pas non plus: “Plus vous souffrez, plus c’est beau “, c’est absolument contraire à la pensée de Jésus. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera »
Ici, vous avez un mot absolument capital, et qui change complètement la signification : “ perdre sa vie à cause de moi ”, c’est le thème de l’amour personnel pour Jésus Lui-même. Si c’est l’amour personnel pour Jésus dont il s’agit ici, vous comprenez immédiatement ce que veut dire “ perdre sa vie “, parce que c’est le propre même de l’amour dans sa vérité. La notion de l’amour est terriblement galvaudée, ce n’est pas aujourd’hui que ça a commencé, mais le pur amour est que celui qui compte, c’est la personne que vous aimez, et non pas vous. C’est cette personne qui est tout pour vous. Donc, vous renoncez à vivre pour vous-même mais chercher à vivre pour cette personne ; c’est ce qui est ici, ce n’est pas une espèce de masochisme ou de destruction de soi-même, c’est au contraire l’accomplissement dans la pureté de l’amour désintéressé. Ceci pour la personne du Christ qui est Fils de Dieu incarné qui se livre maintenant pour moi, comme dira Paul, qui est la source même de l’amour pour Lui. Donc ici il s’agit bien de marcher à la suite du Christ à la plénitude de la gloire ; il ne s’agit pas de s’effacer. Résumons : « perdre pour gagner, recevoir en donnant. »
« Pour qu’un tel conseil puisse avoir un sens, il faut d’abord avoir gagné ce qu’on nous demande de perdre. Il nous faut développer un ‘moi’ suffisamment fondé et nous trouver sur le chemin d’épanouissement de soi, avant d’être en mesure de prendre notre croix pour le suivre. L’épanouissement personnel n’est pas en opposition avec ‘perdre sa vie’ ‘ou prendre sa croix’ » (Jean-François Noël). Être disciple du Christ, c’est consentir à l’amour qui transforme notre cœur. La sagesse de Dieu est folie devant les hommes. N’est-ce pas cette folie que propose Jésus à ses disciples ? Une folie que Jésus lui-même a choisie et pour laquelle il a donné sa vie. La qualité d’amour exigée par Jésus se trouve en Dieu seul. Jésus nous demande simplement d’être à son école. Dans le chemin, à la suite du Christ, Il nous apprend l’amour ou plutôt, il transforme notre cœur pour vivre et rayonner son amour. Cette transformation du cœur est son œuvre mais elle n’opère que par notre profond assentiment, consentement et collaboration. « La grâce a été donnée non pour se substituer à l’homme, mais pour le guider à trouver en lui de quoi faire de sa blessure une offrande à soi, à l’autre et à Dieu. Véritable paradoxe, en effet comment quelque chose qui nous blesse peut-il donner quelque surcroît d’être ?
Pour revenir à l’Évangile, si souffrance il y a, elle serait plutôt la conséquence de « l’émondage », émondage nécessaire de la vigne pour que les sarments portent du fruit. Porter du fruit n’est-ce pas le vrai sens de l’existence, sa raison profonde, la joie pour laquelle on est prêt à tout sacrifier pour l’obtenir ? N’est-ce pas ce qui anime la patience, le courage, la persévérance des parents à l’égard de leurs enfants dont le bonheur, la joie, le plaisir sera leur bonheur ? » (Jean-François Noël). Combien de fois nous faisons des choses que nous n’avons pas envie de faire au nom d’une motivation qui dépasse notre ego : le devoir, le bien de l’autre, le bien commun et plus encore l’amour de Dieu. Je cite Karl Rahner : « Seul aimer Dieu nous met en face de Celui sans lequel nous serions que des consciences terrifiées par le vide radical du néant… Seul aimer Dieu nous permet de nous oublier ». Nous avons besoin de la motivation que Dieu nous donne mais pour cela, il nous faut entrer dans le mode divin, c’est-à-dire faire le passage auquel le Christ nous invite. Nous sommes des êtres de louange capable d’aimer. C’est centré sur le Christ que nous pouvons le devenir vraiment.
Le Fils de Dieu s’est incarné pour faire pénétrer dans notre esprit le sens de la fraternité à large spectre. Ce n’est pas à porter de notre nature humaine. Précisons : certains amours sont à notre portée, c’est notre pauvre amour. Pour élargir le cercle des personnes que nous pourrions aimer, c’est accueillir cette capacité de Dieu lui-même. L’obstacle le plus décisif, c’est sortir du dualisme ami/pas ami. Ami, c’est celui qui me fait du bien, pas ami, celui qui me procure du désagrément. Sortir de ce dualisme est salutaire. Trois cercles concentriques peuvent m’aider à cheminer vers une vision plus grande des gens à aimer. Le premier cercle, c’est le plus naturel, le plus évident, c’est ma famille, mon clan, ceux qui me ressemblent. Dans la charité chrétienne, je m’ouvre à un autre cercle, mon prochain, c’est celui qui a besoin de moi. Le troisième n’est accessible qu’avec la grâce de Dieu. Je dois considérer comme prochains tous ceux pour qui le Christ est mort. Du plus proche au plus lointain, du cercle le plus rapproché à l’universel, le travail est ardu. Tout d’abord, une remarque. Aimer ce n’est pas réductible à un sentiment affectif.
Le Christ sur la croix ne ferme pas son cœur à ceux qui lui font violence. Cependant, Il ne dit pas « je vous aime ». Il les confie au Père et ainsi ne se ferme pas à l’amour: « Père pardonne leur ils ne savent pas ce qu’ils font ». Le cœur de Jésus, unique car de nature humano-divin, continue à aimer malgré la haine qui s’abat sur lui. L’Amour est vainqueur, la mort est vaincue. Le mal dans son principe tombe au pied de la croix, vaincu. Aimer comme cela n’est pas à portée de notre pauvre capacité d’aimer, notre pauvre amour. Mais qu’est-ce qui est à notre portée ? Vivre le mieux possible mon pauvre amour, grandir dans la confiance, l’affection, l’engagement, la loyauté, la fidélité, la bonté, la gentillesse, la compassion, la miséricorde, la serviabilité, l’encouragement, le soutien, la force, la protection – toutes les qualités qui permettent aux gens de rester liés ensemble dans l’amour mutuel et dans l’unité, déposer ce pauvre amour dans l’amour inconditionnel, immérité, infini de Dieu et Il le sanctifiera dans un chemin de simplicité, de confiance et d’amour. Perdre sa vie, c’est quitter la superficialité de sa vie et entrer dans la profondeur de son être, là où le christ est vivant en nous, là où Il nous attend pour nous sauver. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes. Le chemin d’intériorité est nécessaire pour prendre sa croix et suivre le Christ.
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