Avec l’Evangile du jour, nous concluons le chapitre 6 de St Luc. On l’a vu, il nous entraine dans les profondeurs du cœur de Jésus et dans l’équilibre de ses relations avec Dieu et avec le prochain. Si Jésus propose une nouvelle vision des choses, c’est surtout parce qu’il puise à la sagesse divine, sagesse qui nous dépasse et nous étonne mais sagesse qui nous enracine dans le réel et la relation vraie. Jésus ne nous demande pas d’agir au-delà de nos forces mais de tendre vers le Bien et le Beau, vers l’amour. On pense parfois que la demande est trop haute ou irréaliste. On se décourage parce que l’on se sent incapable d’efforts ou incapable de faire le bien. La force de l’Esprit Saint nous est donnée pour réaliser les Béatitudes et l’amour du prochain. Ce même Esprit qui animait Jésus et qui nous vient du Cœur de la Trinité Sainte nous est donné. Il nous anime depuis notre baptême et nous guide par ses dons sacrés. Oui, vivre de Dieu est possible et vivre en Dieu est possible.  Nous goûtons de l’amour trinitaire pour vivre dans la Sagesse éternelle.

  1. La sagesse.

Dès qu’on prend de l’âge, on aspire à la sagesse. On voit les choses avec les yeux de l’expérience et de la réflexion. On sait qu’il faut « voir avec le cœur » et non pas se laisser aller aux pulsions ou impressions, ni aux inspirations spontanées qui sont parfois fruits de nos passions et de nos désirs connus ou inconscients. On réussit parfois à se maîtriser. Mais la sagesse n’est pas l’apanage des seuls anciens. Elle est le désir des plus jeunes qui entrent dans le combat de la vie en se référant à l’expérience des autres et à la réflexion sapientielle ou philosophique. Sans effectuer ici un travail complet sur la sagesse, de quoi s’agit-il ?

Sagesse : voir les choses avec les yeux de Dieu. Toutes les civilisations ont produit des textes de sagesse et de philosophie. On a cherché à comprendre et à analyser les événements et les expériences. C’est une grande richesse pour l’avancée de l’humanité. Quant à nous, nous puisons nos réflexions et nos critères de l’expérience de Dieu et de la Révélation divine. Nos sages bibliques ont compris le message : Dieu ne possède pas nos critères ni nos limites. Il appelle à aller plus loin et à considérer le monde avec ses yeux. Si Dieu est le Créateur et Celui qui se dit, il révèle ses pensées par son agir et son cœur par sa miséricorde. Si Dieu est notre Sauveur, il redit son attachement et sa volonté de nous prendre avec Lui en nous mettant en garde contre ce qui détruit et nous avilit. Si Dieu est le Sanctificateur, il nous plonge dans son amour et nous permet de partager sa vie divine. On comprend mieux que la sagesse est issue de la Sagesse divine.

Sagesse : être réaliste sur soi et les autres. Il y a toujours une distance entre ce que l’on pense et ce que l’on fait. La réflexion aide à agir certes mais ne nous assure pas de réussir. La faiblesse humaine est connue et la non-maîtrise de soi est parfois supérieure à nos aspirations. On veut faire mais on ne fait pas. On veut équilibrer réflexion et action, mais c’est difficile. Foi et raison doivent s’harmoniser mais l’équilibre est fragile. La sagesse nous invite à reconnaître cette fragilité et à en tenir compte. Elle indique « la poutre dans notre œil » avant de voir « la paille dans l’œil des autres ». « Connais-toi toi-même » disait Socrate. Oui mais « l’Eternel donne la sagesse, de sa bouche sortent la connaissance et l’intelligence » (Proverbes 2,6). La bonne connaissance de soi produit l’humilité et l’humilité produit la sagesse. On sait qu’on n’est pas Dieu mais des êtres limités et fragiles qui ont besoin de vivre selon leur humanité tout en aspirant à la transcendance divine. 

Sagesse : savoir tirer profit de ses expériences. Beaucoup se perdent dans leurs expériences ou par leurs expériences. Elles peuvent nous anéantir ou nous aider à relever la tête. Elles peuvent nous bloquer à tout jamais ou nous relancer dans la vie. Elles peuvent nous détruire ou nous construire. La sagesse s’acquiert par un approfondissement de l’expérience et des conclusions réalistes et vivifiantes. Les expériences positives alimentent notre équilibre et apaisent nos vies. Des expériences négatives, on peut tirer profit sans se laisser abattre ou démoraliser. Même si c’est difficile, revenir sur ces expériences permet de se connaître et de jauger ses limites et ses tendances. Des expériences, fruits du péché, on peut envisager un chemin de conversion et de pardon. Après ces expériences, on se souviendra qu’on « a revêtu l’immortalité » en Christ (1 Co 15, 54 ss).

La sagesse est humaine et divine. Humaine car elle fait partie de la vie et est le fruit de l’expérience. Aidé par la réflexion de nos civilisations, on peut avancer vers un sens humain de l’existence. Divine car elle vient de Dieu et de sa Volonté. Voir ce monde avec les yeux de Dieu, c’est entrer dans une relation nouvelle et perçante de la réalité et du sens des choses. On voit alors l’invisible dans le visible, le sens dans le hasard, l’amour dans la banalité de la vie. La sagesse humaine est participation à la Sagesse Divine. Elle devient connaissance et science. Elle rejoint la sphère divine. 

  1. Morale filiale

« Chaque arbre se reconnaît à ses fruits » dit Jésus. Chaque arbre tire ses fruits de l’alimentation de ses racines et de l’atmosphère dans lequel il évolue et se développe. La sagesse populaire dit de même quand elle affirme qu’on est le fruit de notre famille ou de notre éducation. Pour nous chrétiens, l’amour est à la source de tout et tout doit s’épanouir en lui. Il est notre lieu de naissance et d’épanouissement. Il vient de Dieu Trinité et se reflète dans nos vies. 

Ethique filiale : au-delà de suivre des normes même si on en a besoin, au-delà de suivre des commandements même s’ils sont essentiels, au-delà des orientations précises même si elles nous montrent la route, c’est l’éthique filiale qui nous guide. C’est le Fils qui fait de nous des êtres nouveaux, tournés vers le Père dans l’Esprit. C’est la Croix qui nous a obtenu le pardon et donc la sagesse. C’est la Résurrection qui nous a plongés dans le mystère des relations trinitaires par l’Esprit. On se comprend dans une relation filiale et donc dans un agir filial. On évolue dans une atmosphère filiale et donc dans une orientation de vie toute tournée vers la Trinité. Même si nous sommes autonomes, nous sommes autonomes en Dieu. 

Morale de fils/filles : concrètement, il est parfois difficile de faire des choix vrais qui correspondent à ce que nous sommes et à ce que nous croyons. Mais c’est la voie de la liberté. Nos choix disent qui nous sommes et où nous en sommes. Il est plus difficile d’être libre que d’être esclave car l’esclave agit selon ce qu’on lui dit de faire, sans choix, sans réflexion, sans donner du sens. L’être libre met en jeu sa liberté et son discernement selon ses critères et son identité. Agir comme un fils ou une fille, c’est exprimer son identité et sa liberté. On peut certes se tromper mais on ne peut laisser à d’autres ses choix. Ici, la sagesse prend sa place car elle est fruit de cette liberté qui est éclose dans nos consciences. Quelle grandeur de l’homme qui agit librement avec sagesse ! Quelle grandeur de Dieu qui donne à l’homme la liberté et partage sa Sagesse Divine !

  1. Conclusion : ce qui sort de notre cœur

Jésus nous entraine dans une nouvelle façon de voir et d’agir. Les Béatitudes sont une orientation donnée pour vivre notre vie avec sagesse et religion. Elles rappellent où se trouve le bonheur pour celui qui suit le Christ selon son identité nouvelle en Lui.

Jésus nous propose de partager sa sagesse qui est Sagesse Divine, rejoignant la sagesse quotidienne comme fruit de l’expérience humaine. La Sagesse Divine se reçoit et se diffuse dans nos vies comme un baume qui guérit et rafraichit. 

Jésus nous rappelle que nos vies sont toutes filiales car en Lui nous avons obtenu et reconnu notre identité nouvelle. Agir en fils ou fille de Dieu rejoint la profondeur de notre humanité qui se meut dans la liberté et la sagesse. 

En définitif, qu’est-ce qui déborde de notre cœur ?  Espérons que ce soit l’amour de la Trinité auquel nous participons en vérité par le Christ, vrai Dieu et vrai Homme.  AB