Il faut toujours remarquer les détails dans l’Evangile. Ils indiquent les circonstances de l’action ou du discours de Jésus mais aussi nous donnent la symbolique dans laquelle il veut s’inscrire. Après avoir prié toute la nuit sur la montagne et avoir choisi ses apôtres, Jésus redescend vers le plateau et rejoint la foule. Cette foule est mixte : habitants de Judée et de Jérusalem donc des juifs et habitants de Tyr et Sidon, donc des païens. Cela nous en dit long sur l’intimité de Jésus avec Dieu son Père et ses choix pris au cœur de la prière mais aussi son désir d’étendre son œuvre à toute personne ouverte au message de grâce, appelée au salut et à une vie en conséquence. Son appel au bonheur en sera plus radical, plus percutant, plus abrupt. On se souvient des Béatitudes selon St Mathieu qui nous paraissent plus souples et universelles. Chez Luc, elles sont directes et concrètes, sans habillage et sans fard. Leurs contreparties sont difficiles à entendre mais cohérentes dans la bouche du Fils qui cherche notre bonheur et notre communion avec Dieu et entre nous. Si Jésus guérit les corps, il guérit le cœur et touche l’âme. Il est venu annoncer le Royaume qui pointe déjà mais aussi la voie qui y mène. On a besoin d’entendre cette Voix pour connaître la Voie. Jésus est l’une et l’autre. 

  1. La voie du bonheur.

Dire que l’homme recherche le bonheur est un avis commun. On comprend mieux ses engagements et ses excès. Chacun veut vivre sa vie le mieux possible. Certains choix laissent sceptiques mais ils reflètent la même idée, la même recherche. Ils passent quelque fois par les limites de l’entendement. Les faits sont là. Jésus propose un bonheur au-delà des apparences ou du bien matériel. Il voit le bonheur dans une relation vraie et intime avec le Père, en Lui et dans l’Esprit. Notre communion en la Trinité Sainte est le lieu du bonheur et de l’épanouissement. Ainsi pauvre ou affamé et malgré les limites humaines vécues et les rejets sociaux, celui qui se tourne vers Dieu reçoit la grâce de vivre un bonheur « malgré tout ».

Pauvreté : qui veut être pauvre ? Personne ne recherche cette fatalité. On fera de tout pour sortir de la pauvreté mais aussi pour lutter contre par des lois sociales, économiques et politiques adaptées. La pauvre s’en remet à Dieu et attend sa Providence. Sans idéaliser cette situation, Jésus, pauvre lui-même, se solidarise des pauvres et leur donne une place de choix dans le cœur de Dieu. Ceux qui n’ont rien s’ouvrent plus facilement à la Présence divine et crient vers notre conscience. La pauvreté, matérielle (pour St Luc) et en esprit (pour St Mathieu), a toujours été vue comme un chemin vers la richesse divine et l’abondance trinitaire. Certains y font vœux par solidarité et pour rappeler l’unique Bien.

Faim : qui veut avoir faim ? Personne ne recherche cette situation inconfortable qui met en avant nos limites et notre fragilité humaine. On fera tout pour donner à manger à l’affamé et pour éradiquer de la terre cette situation inacceptable. Jésus, qui jeunait et « eut faim » dans le désert, se solidarise des affamés. Il y voit un élan vers la recherche d’un plus grand bien, vers une faim de vérité, de justice mais surtout d’amour. La faim de pain est signe de la faim de Dieu. La faim qui torture le corps est aussi le signe de l’âme en quête de Dieu. Le pain qui redonne force est signe du Pain qui rassasie notre cœur élancé vers le transcendant. 

Pleurs : qui veut pleurer ? Personne ne pleure pour rien. On se passerait bien des peines qui taraudent nos vies à la vue des malheurs qui fondent sur les gens et sur le monde. Jésus a pleuré lui-aussi, sur son ami Lazare au tombeau et sur Jérusalem la pécheresse orgueilleuse. Il y voit une communion dans la détresse mais aussi une purification des cœurs. Les larmes en disent long sur l’état intérieur de celui qui regarde, qui perçoit les choses, qui compatit. Elles ouvrent l’esprit aux autres et s’ouvrent à la solidarité mais aussi à la beauté. Pleurer soulage mais peut être aussi un don. Les larmes expriment notre condition intérieure et notre désir de plus grand, de plus beau. Elles mettent paradoxalement en communion. Elles plongent tout notre être dans la joie trinitaire. 

Attachement au Christ : qui veut être persécuté ? Personne ne recherche la souffrance ou l’opprobre. Jésus aussi a été persécuté. Il parlait vrai et disait vrai. Il bouleversait les cœurs mais aussi l’ordre établi. Il dérangeait les nantis et les suffisants. La persécution l’a porté à la croix, victime innocente de nos compromis et de nos péchés. Celui qui suit Jésus subit le même sort. Il entre dans les pas de son Maître et dans la vérité de sa vie et de ses choix. Si le nom de Jésus a été diffamé, le nôtre le sera aussi. Les disciples subiront la persécution de leur Seigneur. Cette persécution est un signe de vérité et de cohérence. Elle donne paradoxalement la joie de la voie droite.

Jésus assure du bonheur ceux qui n’en sont pas jugés dignes par nos critères habituels. Il perçoit des situations extrêmes qui nous font peur mais qui peuvent nous mettre sur la voie du salut en Dieu, dons du bonheur dans la Trinité, Communion d’amour.

  1. La voix du bonheur.

Les chrétiens ont souvent été appelés « ceux qui suivent la Voie ». De fait, ils suivent une voie nouvelle qui bouleverse les références sociales ou économiques. L’éthique qui sourd de cette suite du Christ est un chemin vers la liberté et donc le bonheur. Être ce qu’il doit être, n’est-ce pas ce que chacun recherche ? L’éthique correspond à nos choix spirituels et se concrétisent dans une morale conséquente. Encore faut-il écouter la Voie qui appelle, rappelle, interpelle. 

La Voix du Fils : Si le Christ est le Fils et que le Fils est la Vérité, alors, à n’en pas douter, il nous faut écouter sa Parole de vie qui donne bonheur et accès à l’éternité. Logos éternel, le Christ est la Voix du Père qui nous introduit dans le mystère trinitaire. L’Evangile témoigne de cette Parole qui transforme, purifie et transfigure. On se réunissait pour écouter sa Parole. On recherchait cette Parole qui coulait comme un baume sur les cœurs, une eau pure sur l’âme, une lumière pour l’esprit. La voix de Jésus est la Voix de Dieu étendue par les prophètes, par les croyants dans la prière, par le peuple au Sinaï …

Voix du Fis et Voix du Père : Parole éternelle, la Voix du Fils est voix du Père. Jésus ne parle jamais au nom de Dieu, il est la Parole de Dieu. Sa voix est celle de Dieu et donc du Père qui donne l’Esprit. On entend Dieu par la Voix du Christ. L’Esprit parle au cœur des croyants par la Voix du Christ.  On se souvient de cette Voix si forte dans l’histoire du Peuple de Dieu mais aussi de cette Voix se faisant entendre durant la vie de Jésus. 

L’Esprit qui parle au cœur : c’est en soi que la Parole retentit. Elle suscite l’amour et permet la communion en vérité. La Voix du Christ a retenti sur notre terre et elle reflétait la Voix du Père. Maintenant, c’est l’Esprit qui suscite l’écoute et qui pacifie les cœurs par une parole apaisante et amoureuse. Il est là au cœur de nos vies et prie en nous avec les mots du Christ pour la gloire du Père. On s’y reconnait car Parole entendue et reçue, Parole éternelle ouvrant au Père, Parole qui dit l’amour de la Trinité pour nous. 

  1. Conclusion : le Fils porte au Père.

Les Béatitudes selon St Luc sont abruptes et percutantes. Elles vont droit au but et ne contournent pas les obstacles. Elles disent ce qu’elles signifient. Elles promettent le bonheur à ceux qui, maintenant et en vérité, sont pauvres, ont faim, pleurent ou sont persécutés. 

Les Béatitudes ont leurs contreparties. Au bonheur promis, il y a un malheur pour ceux qui se ferment aux autres et à Dieu, qui s’enferment dans leur suffisante et leur orgueil, qui recherchent en eux leur origine.

La Voie proposé par Jésus est l’accueil de sa Voix comme Parole de Dieu. Non pas parole d’homme, aussi saint soit-il, mais Parole éternelle qui plonge dans l’amour trinitaire. AB