Dans le début du texte des disciples d’Emmaüs, on trouve beaucoup d’expressions qui expriment désespoir, frustration, amertume, tristesse etc…
Le visage des deux disciples est sombre, ils sont déçus par rapport à leur attente mais aussi blessés dans l’investissement spirituel et affectif qu’ils ont mis en Jésus.
Le cheminement des disciples d’Emmaüs est un exemple de reconstruction à partir d’un arrachement destructeur qui a déraciné en eux toute l’espérance, l’amour et la foi qu’ils avaient mis en Jésus et qu’ils ont devant eux. « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ». « Nous espérions», cette expression est le signe d’un profond désenchantement. Le passé est douloureux, le présent lourd d’amertume et l’avenir bouché. Ressassé sans cesse, cette plainte est un enfermement dans une nostalgie délétère qui les empêche d’avoir accès à leur cœur profond et de reconnaître le maître qu’ils ont suivi. « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » ? Toute la vie de Nicolas a été un chemin d’Emmaüs qui sans cesse s’est déroulé à chaque carrefour où il a dû choisir, rechoisir la vie contre les forces de mort qui jamais ne l’ont lâché. Comme pour les disciples d’Emmaüs, le Seigneur l’a accompagné dans cette traversée de la souffrance. Dans la pédagogie de Dieu, beaucoup de respect, jamais de condamnation, Juste des propositions que Nicolas a acceptées : tout d’abord le scoutisme puis la vie religieuse. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas eu des frustrations, des cassures, des ruptures, des maladresses, dans sa vie. Comment vivre avec une souffrance qui ne vous lâche jamais ? Mais au fait, quelle est cette souffrance, qu’en est-il de son origine ? Ce n’est un secret pour personne que la vie de Nicolas a été profondément marquée par la mort de sa mère alors qu’il n’avait que 8 ans. Comme pour les disciples d’Emmaüs, tout à la fois, un ouragan, un tremblement de terre, un tsunami l’ont frappé de plein fouet. Rien n’a pu être comme avant ! De la vie à la survie : passage obligé. Comment faire sens quand tout a été dévasté ? L’affectif explosé, l’intelligence brillante certes mais en surchauffe. Reste le spirituel : Dieu rempart aux forces de mort. Quand tout s’écroule un sursaut comme pour sauver sa peau. Toute la vie de Nicolas a été plongé dans un « struggle for life » ( combat pour la vie). Vraies comblances, fausses comblances tout cela entremêlées, tissés, détissés, retissés pour la survie. Mais dans cette survie, où a-t-il trouvé la vie ? Deux domaines : le service pour Dieu, le service des frères et des sœurs. Avec chaque petit grain de lumière, accueilli de Dieu lui-même, transmis à ceux qui souffrent comme lui, Nicolas a pu, chaque jour, constituer son pain eucharistique. Quel trésor dans le cœur de Dieu. Pendant ces quelques dernières années à Tarbes, il n’a pas quitté le pain eucharistique et le lien à l’Église, allant trois fois par semaine à la messe et récitant l’office. Toute sa vie, il a pu saisir ces quelques grains de lumières qui ont éclairé son chemin vers Dieu. A faire, sans cesse, le passage du temps à l’éternité, le regard change.
Dans cette perspective, le regard que l’on porte sur la vie des autres, sur sa propre vie change de point de vue. On peut alors considérer tout acte, toute parole, tout frémissement de libération comme un trésor dans le cœur de Dieu. Tout acte de libération, même s’il ne va pas jusqu’au bout, est infiniment précieux aux yeux de Dieu, car la plus petite parcelle de vie, découverte, choisie et vécue, parmi les plus grandes pulsions de mort, participe de la victoire de Dieu sur toutes les forces du mal, dans l’histoire et dans l’éternité.
Nicolas a fini par comprendre, à discerner les fausses comblances, des vraies. Je vous laisse savourer une prise de conscience dont il nous a fait part par lettre, un an après son départ pour Tarbes.
« Sur le plan de ma santé psychique et psychologique, une mélancolie, un fond dépressif, commençait à m’envahir, cela depuis l’année qui précédait mon départ en Égypte, et s’emparait de moi au fur et à mesure. Je devenais très négatif et j’ai donc revisité des moments douloureux de ma vie, comme la maladie et le suicide de ma mère, le suicide de son propre père, mon grand-père maternel, ces sentiments d’abandon et de solitude qui ont marqués ma vie d’enfance et d’adolescence, et contre lesquels j’ai lutté en me faisant une carapace, une armure, une certaine dureté dans mes relations et avec moi-même, qui m’ont protégé, mais un temps seulement… J’ai donc ôté mon armure, je suis beaucoup plus vulnérable et fragile, mais maintenant libre et en vérité. En tous cas, je me sens beaucoup mieux et capable de projets positifs. »
Le chemin d’Emmaüs de Nicolas a été long ! Il est mort libre et dans la lumière.
Comme pour les disciples d’Emmaüs, Nicolas blessé et déraciné a pu, tout au long de sa vie, ouvrir son cœur au Christ qui a pu déployer en lui toute sa compassion, tout son art guérissant et libérateur.
Que peut nous dire encore le récit des pèlerins d’Emmaüs ? Le texte raconte que Jésus s’approche des deux disciples enfermés dans leur déception, leur souffrance et leur amertume. Pas à pas, Jésus va les faire advenir à eux-mêmes. Il les prend comme ils sont : tristes, aveugles, défaits. L’art de l’autre chez Jésus, c’est espérer en eux :
- Espérer qu’en les laissant nommer leur tristesse, ils pourront être suffisamment libre pour une autre parole, une parole qui ouvre le cœur
- Espérer que leurs yeux s’ouvriront
- Espérer qu’ils retourneront à Jérusalem pour vivre leur mission de disciples.
Par sa présence, par la visite des écritures, Jésus a amené les disciples d’Emmaüs dans la profondeur de leur être intérieur. Par son sacerdoce, par les sacrements, par l’immense compassion qui l’animait auprès de ceux qui étaient blessés, Nicolas a pu, comme les disciples d’Emmaüs, traverser sa souffrance. Toute sa vie, à chaque étape, à chaque instant, il a refait le pèlerinage d’Emmaüs. Chaque jour, Il a pu dépasser les obstacles intérieurs qui entravaient sa descente en lui-même et ainsi avoir accès au centre de son âme, même si c’était souvent de nuit. Je salue le courage de Nicolas qui, toute sa vie, n’a cessé de parcourir un chemin, le chemin le plus difficile qui soit, le chemin vers lui-même. Ce fut une véritable renaissance à l’espérance.
S’ouvrir à la Présence de Dieu en soi, s’ouvrir au prochain, Nicolas l’a toujours fait mais c’est à Tarbes, qu’il a pris conscience des fruits de son long accouchement de lui-même. Voilà comment il décrit ce fruit :
« Depuis 2003, je me force à avancer, j’ai pu le faire grâce à la prière qui m’a permis de trouver l’aide de Dieu, de la Vierge et des saints. Ce fut un rude combat de chaque jour, mais j’en étais arrivé à une limite infranchissable. Une transition s’imposait. J’ai eu, depuis l’année passée, l’opportunité d’une vie plus naturelle à la montagne, de plus de silence, de prière, auprès d’un grand sanctuaire, entouré d’amis, au contact quotidien avec des animaux, d’une vie en vérité avec des gens sans être en “représentation”, de pouvoir dire que l’on va bien si on va bien, mal si l’on va mal, d’une vie toujours au service des autres tout en étant au niveau de l’autre, de plus de simplicité, de pouvoir dire non à une personne qui vous pollue la vie, de pouvoir se ressourcer en permanence, de sortir des routines quelquefois nécessaires mais imposées par la vie commune… Je pourrais vous écrire des pages entières sur l’expérience de cette année et qui m’a fait un bien immense. »
Où est Nicolas ? Que fait-il ? Écrit-il des pages entières ? Notre intelligence n’est pas suffisante pour le savoir. Seule, la poésie, dans son langage symbolique, peut balbutier une réponse. Une manière de parler : Nicolas relit l’histoire de sa vie à travers le regard d’immense compassion du Seigneur. Que lit-il ? Dans le cœur ouvert de Dieu, il découvre l’Amour dont il a toujours été aimée, un Amour inconditionnel, infini, toujours nouveau. Nicolas sait maintenant qu’il est parfaitement aimé. Jamais rassasié, il va de nouveauté en nouveauté, de commencement en commencement, vers des commencements qui n’en finiront jamais. C’est ça l’Éternité.
bmg
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