A l’occasion du huitième centenaire de la naissance au Ciel de mon fondateur, je me permets de lui rendre hommage et de vous adresser quelques réflexions. En effet, je suis membre de l’Ordre de la Sainte Trinité, fondé en 1193 et approuvé par Innocent III en 1198. Jean de Matha est donc la référence principale de notre Ordre et le point de convergence de tout notre charisme.

Professeur à la naissante université de Paris, il a connu les chantiers de Notre Dame et a fréquenté l’Abbaye de St Victor, d’heureuse mémoire dans la vie intellectuelle de Paris. Il a été influencé par sa théologie et sa pratique spirituelle, suivant les offices avec les moines et participant à sa féconde vie intellectuelle. Il sera ordonné très tard, fin 1192/ début 1193. Lors de sa première messe, le 28 janvier 1193, il voit le Christ en gloire, assis sur un trône à la manière byzantine, tenant d’une main un captif chrétien et de l’autre un captif maure. C’est le signe attendu pour fonder son Ordre en faveur de la libération des captifs et pour le retour des esclaves dans leur patrie d’origine. L’aventure commença ainsi et se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Jean se retire à Cerfroid (antiquement diocèse de Meaux, aujourd’hui dans l’Aisne) pour méditer son projet, s’adjoint des ermites puis demande au pape l’approbation de son Ordre. Cerfroid devient le Chef d’Ordre, la Maison-Mère. Le couvent de St Mathurin à Paris devient le centre intellectuel et diplomatique de l’Ordre. De fait, en Île de France, on appellera les Trinitaires, les Mathurins en référence à ce couvent aujourd’hui disparu mais dont quelques ruines rappellent la grandeur près de la Sorbonne (Musée de Cluny). Les Mathurins restent dans la mémoire historique de Paris : rue des Mathurins, théâtre et moulin des Mathurins… Jean de Matha ira jusqu’au Maroc pour libérer les captifs chrétiens. Il mourra à Rome le 17 décembre 1213. A ce jour, ses reliques sont conservées à Salamanque, en Espagne.

Ainsi naît l’Ordre de la Très Sainte Trinité et des captifs. Jean de Matha nous a laissé deux choses : le sceau de l’Ordre et la Règle de vie.

Le sceau de l’Ordre, conservé à Rome, est une mosaïque qui représente la vision de Jean (cf.: www.cerfroid.fr). Il l’a voulu ainsi, fixe sur la porte extérieure de l’hôpital des Trinitaires, entre le Colisée et St Jean de Latran. Tout passant peut élever ses yeux et contempler la même vision : le Christ victorieux, libérant, vraie expression du Père et plein d’Esprit Saint. Tout homme est appelé à la liberté, la liberté des enfants de Dieu que seule la grâce nous procure. On doit se libérer des chaines intérieures (péché, erreurs, passions…) et des chaines extérieures (injustice, captivités, esclavage…). Le Trinitaire est un rédempteur, il participe à la libération des captifs tout en se libérant lui-même et en se confiant à l’amour du Père dans le Fils par l’Esprit.

La Règle de vie des Trinitaires est un texte juridique qui organise la communauté en fonction de sa spiritualité et de son apostolat en faveur des captifs. Elle est simple et concrète. Elle est réinterprétée à chaque époque par des Constitutions qui l’actualisent. Tout est orienté vers l’apostolat (libération des captifs et œuvres locales de charité) : la fraternité (vie communautaire) et la prière (vie d’adoration) s’y harmonisent. Jean ne fait pas de discours théologique sur la Trinité mais toute la vie religieuse en est le reflet par ses symboles et sa vie quotidienne.

Que retenir de cet homme exceptionnel ? Une passion pour la vie, pour la liberté parce que passionné pour le Christ ressuscité, icône du Dieu invisible et agissant dans le monde par son Esprit. Au-delà des légendes séculaires, d’une biographie arrangée selon la coutume hagiographique, on peut atteindre le cœur de cet homme attachant et en faire un maître spirituel.

Enraciné dans le Christ : il n’y a pas d’autre solution pour se dire chrétien sinon passer par et vivre en Christ. Le Christ est le vrai Maître : il révèle le Père, il donne l’Esprit. Il nous plonge dans le mystère trinitaire et nous invite à la communion. Tout vient de là. Tout s’explique par là. Tout se vit en cela. Le sceau trinitaire est un chant théologique qui, par la personne du Christ, nous plonge dans la vie divine. C’est la démarche du Nouveau Testament : tout vient de Lui, tout est pour Lui, tout est en Lui.

Enraciné en humanité : le mystère le plus sublime est celui qui nous ramène à notre humanité. Humanité dans toute sa grandeur mais aussi humanité dans sa misère et ses limites. Il n’y a pas d’autre chemin que celui de notre humanité pour rencontrer Dieu et en faire l’expérience. C’est en nous et par notre chair, sanctifiée par l’Incarnation et transfigurée par la Résurrection, que la vie divine passe. C’est là notre lieu de vie, loin des illusions et des idées désincarnées. La beauté est ainsi notre identité. La misère est donc à combattre. Les limites ne nous font pas peur.

Enraciné dans l’amour trinitaire : toutes nos convictions, toute notre foi et notre espérance, tous nos choix et nos combats sont le fruit de l’amour. Cet amour si humain atteint l’amour divin. Il est purifié et sublimé par l’amour de Dieu afin de refléter notre identité profonde d’enfants de lumière. Que d’harmonie quand les amours se rejoignent, s’unissent, s’accomplissent ! Que de dynamisme quand les amours se passionnent pour l’homme, sa grandeur, sa vocation, sa destinée ! Humblement mais sûrement, l’amour que nous exprimons si maladroitement est expression de l’amour de la Trinité.

La liberté comme expression de la vie divine : Jean de Matha a compris cela. C’est par notre vie libre et filiale que nous suivons parfaitement notre vocation d’homme et de fils. La liberté est le signe de notre identité. Elle est la boussole de notre vie spirituelle et donc, de notre vie familiale, professionnelle, sociale… N’est libre que celui qui s’enracine en Christ et plonge dans l’amour trinitaire, Liberté suprême et Beauté sublime.

On comprend alors comment la passion pour la liberté a poussé Jean de Matha à la défendre, à organiser les rédemptions, à enflammer les cœurs. Qui nous séparera donc de l’amour du Christ ? Il n’y a rien à craindre avec « Celui qui est, qui était et qui vient », Celui qui est la parfaite icône du Père. Personne n’est trop loin pour vivre cela. Tous sont appelés à l’aventure de la foi, dans l’amour.

Que St Jean de Matha intercède pour nous et nous obtienne une passion toujours plus grande pour l’humanité, vraie trésor du Père, bénie par le Fils et animée par l’Esprit Saint. Humanité qui est demeure de la Trinité Sainte et sanctuaire de sa grâce. Humanité selon le cœur de Dieu !

A.B.