Deux niveaux d’interprétation dans cette parabole.

  • Premier niveau, celui du contexte : on se situe dans le conflit extrêmement violent ente Jésus, d’une part, les grands prêtres et les anciens du peuple, d’autre part.
  • Deuxième niveau, celui de l’interprétation dans nos vies. A quoi le Seigneur aujourd’hui nous invite dans cette parabole. Pour cela, il nous faut trouver et nous appuyer sur l’inévitable provocation que contient pratiquement toujours les paraboles. Qu’elle est cette provocation et vers quelles prises de conscience nous amène-t-elle ?

Tout d’abord, le contexte. Jésus adresse la parabole aux responsables du peuple d’Israël. Les vignerons, ce sont eux, la vigne c’est le peuple de l’Alliance. Ces vignerons ont envie de s’approprier la vigne par tous les moyens car Ils ne supportent pas de ne pas en être propriétaire et ce faisant, ils sont esclaves des pulsions de mort qui les habitent. Le maître est parti en voyage très loin et c’est par l’intermédiaire de messagers qu’il compte recueillir la part du propriétaire qui lui revient. Mais on ne veut pas lui donner sa part, on jette ses envoyés dehors ou on les tue. Par deux fois se répète le même scénario. Le propriétaire de la vigne finit par envoyer son propre fils.

La folie des vignerons, c’est leur rage qui les amène à tuer et aussi leur raisonnement :  “ Tuons le fils de la maison, et comme ça, cet héritage qu’est la vigne, ce sera à nous”. Leur folie, c’est de croire que le maître ne réagira pas s’ils tuent son fils ?

On peut aussi considérer la folie du maître qui envoie son fils après tous ces massacres. Quelle folie d’espérer que les vignerons vont changer de conduite ? Déjà le deuxième envoi était stupide et dangereux. Or, ça va encore plus loin : il leur envoie son fils, son propre fils, avec un petit raisonnement qui est quand même fou. Il espère qu’en voyant le fils, les vignerons auront peur de l’autorité qu’il représente et qu’ils vont le respecter. Vous pensez bien, s’ils ont déjà commis des crimes, comment vont-ils respecter le fils ? Ça, c’est la folie du maître. Jésus pose une question à ses interlocuteurs : « Le maître de maison que fera-t-il à ces vignerons ? » Jugez vous-mêmes ce que va faire le maître, ce sont les chefs du Temple qui sont forcés de répondre, et ils répondent avec bon sens. Pouvaient-ils faire autrement ? « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui remettront le produit en temps voulu ». Savent-ils qu’ils parlent d’eux-mêmes ? Scribes et pharisiens, comprennent-ils ce que Jésus veut leur dire ? “Évidemment, vous savez maintenant par vous-mêmes que la vigne va vous être enlevée, donc le pouvoir, l’autorité sur Israël vous sera enlevée et donnée à d’autres, un autre peuple, le peuple acquis par une nouvelle naissance et qui rendra les fruits de l’amour, de la justice. Jésus alors livre la pointe de la parabole. Il aborde alors le niveau théologique profond et prophétique grâce à une citation biblique. « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! »

Les bâtisseurs fous ont rejeté la pierre fondatrice, la pierre d’angle, cette pierre que Dieu a faite Lui-même. Elle est admirable à nos yeux, c’est le Verbe Incarné. Mais comme dira Jean, pas de la volonté humaine, pas de la chair et du sang, mais c’est Dieu Lui-même qui l’a engendrée ; voilà la pierre qui est Jésus, et elle sera érigée en pierre d’angle. La pierre a été rejetée. C’est la mort de Jésus dont il s’agit. Elle est devenue la pierre d’angle, c’est la victoire de Jésus sur la mort.

La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. La réponse de Jésus à la haine, c’est le mystère de la pierre rejetée, de l’amour rejeté qui devient pierre d’angle. Dieu répond au scandale du mal par un autre scandale, une autre folie, celle de l’Amour infini, inconditionnel, immérité et éternel du Seigneur. L’envoi du Verbe en notre humanité jusqu’en notre humanité blessée est d’une autre logique que celle de la parabole. C’est vrai que l’humiliation, la souffrance, la défiguration du plus beau des enfants des hommes est en soi un scandale. Nous sommes appelés à voir la croix comme signe de l’Amour car seul l’Amour a pu permettre au Christ de la porter. Seul, l’Amour pour le Père, l’Amour pour nous, porté jusqu’en son incandescence, poussé jusqu’aux extrêmes, descendant jusqu’aux enfers, peut justifier le scandale de la Croix. A l’Amour du Fils, répond l’amour du Père qui détruit et anéantit toutes forces de mort par la résurrection qui frappent à la porte de notre cœur. La réponse de Dieu au scandale du mal n’est pas à chercher à l’extérieur de nous-même ; elle passe par notre propre cœur.

De la Résurrection, nous en vivons déjà, telle des semences de Vie dans nos “aujourd’hui ».

Permettez-moi de vous parler de Jacky Van Thuyne, un ancien braqueur de banque, appartenant à la bande des belges. En prison après un braquage qui avait mal tourné, Jacky a hurlé vers Dieu : « si tu existes, fais quelque chose », une prière plus de défi que de conviction. Dans la nuit, il voit se déchirer un voile qu’il avait toujours devant lui et qui paralysait son intelligence. De plus et c’est sa manière de le décrire, il reçoit une goutte de vraie vie, lui qui n’avait reçu que coups, cris de la part de son père. « Mon père, il ne m’a jamais parlé, il m’a toujours crié dessus » disait-il. Après sa conversion et sa libération de la prison, son comportement avait changé du tout au tout. Il m’a aidé dans mon travail d’aumônier en prison. L’administration pénitentiaire de la prison où j’étais acceptait qu’il ait des parloirs avec les détenus avec qui ça pouvait convenir.

Pourquoi Dieu lui a fait une telle grâce et pourquoi lui et pas les autres ? Cela reste très mystérieux. Ce que je peux en dire, c’est que la brute qu’il était n’avait pas complètement fermé son cœur. Si son dernier braquage avait été un fiasco, c’est qu’il avait pris le risque de retarder leur fuite alors qu’une maman avec son enfant se dirigeait vers la banque.

Un autre exemple dans cette même prison psychiatrique où j’étais aumônier, c’est celui de David. Lors d’une de ses crises maniaques, David avait tout cassé dans sa cellule. Dix gardiens avaient été nécessaires pour le maîtriser et l’emmener au cachot, appelé « mitard ». Il m’avait été impossible d’en franchir la porte que le brigadier-chef refusait d’ouvrir. A travers le judas, David, à ma grande surprise, m’a demandé et a reçu le sacrement de réconciliation. Peu de temps après, je lui apportais la communion. David sortait de ses crises non seulement grâce aux médicaments mais aussi grâce à sa vie spirituelle et notamment sacramentelle. David n’avait plus rien, sinon cette porte qu’il a trouvée au fond de lui, ce sanctuaire inviolable qui lui permet de garder le sens, de ne pas être livré au chaos de son désordre psychologique. La porte de la vie intérieure qu’il a trouvée et qu’il ouvre parfois lui donne accès à un supplément d’être d’où surgissent des forces capables de cohérence. Au fond de son mitard, au cours de ses crises, au cœur de son incohérence psychologique, il s’oriente et trouve le sens.

Le côté extrême de cette prison vient dessiner à gros traits ce qui se passe pour chacun d’entre nous. Tout ce qui ce qui nous fait honte, tout ce qui nous enferme, c’est précisément cela que Christ veut toucher de sa lumière pleine de délicatesse. C’est aussi dans notre chaos psychologique, humain, existentiel, qu’Il veut nous rencontrer. C’est nos mitards qu’il veut visiter. Quoiqu’il arrive ne quittons pas Dieu, ni par honte, ni par peur, ni par culpabilité. Si l’on ne quitte pas Dieu, on ne quitte pas sa cohérence, son dessein d’amour.

Moi seul peut décider de m’éloigner de Lui. Que Dieu m’en préserve !

Bmg